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L’industrie du jeu vidéo surprise par une campagne de syndicalisation

Un clavier s'illumine de couleurs alors qu'une femme travaille à un ordinateur en arrière-plan.

Un peu moins de 15 000 personnes travaillent dans l'industrie du jeu vidéo au Québec.

Photo : Radio-Canada / Richard Marion

Le coup d’envoi d’une offensive de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et de l’organisme Game Workers Unite pour tenter de syndicaliser l’ensemble de l’industrie québécoise du jeu vidéo divise dans plusieurs studios de la province.

Surpris à la lecture de cette nouvelle mercredi matin, Michel Mony, directeur du studio indépendant Cathar Games à Québec, n’a pas tardé à publier sa réaction sur LinkedIn. Il y est catégorique : le syndicat n’est pas la solution aux problèmes que rencontre l’industrie en ce moment.

Parmi les problèmes soulevés par l’initiative, on compte les épuisements professionnels, la précarité d’emploi, la disparité de traitement et les heures supplémentaires non rémunérées.

Je pense qu'on a bien cerné les problèmes, mais mal les solutions. [...] Les gens reconnaissent qu’il y a des problèmes dans l’industrie, mais est-ce que la syndicalisation est la solution?

Une citation de Michel Mony, directeur du studio Cathar Games

Christopher Chancey, directeur du studio indépendant ManaVoid Entertainment à Montréal, insiste : il ne prétend pas représenter la partie patronale, il n’est ni antisyndicaliste ni antitravailleur. Il est pour que tout le monde soit traité dans le respect.

Un homme souriant porte un veston et prend la pose devant un fond coloré.

En plus de diriger ManaVoid, Christopher Chancey est cofondateur de l'Indie Asylum, qui regroupe plusieurs studios indépendants à Montréal.

Photo : Christopher Chancey

Il souligne toutefois que l’industrie du jeu vidéo est fragile en ce moment. Entre les vagues de licenciements, la baisse d'investissements dans les projets vidéoludiques et le récent budget Girard au Québec, qui prévoit une réduction des crédits d’impôt, les prochaines années s’annoncent difficiles pour les studios de la province.

Déjà, l’étoile du Québec ternit sur la scène internationale du développement de jeux vidéo, avance-t-il.

Les efforts de syndicalisation sont un élément de plus. Si on ajoute la lourdeur administrative des syndicats dans tout ça, j’imagine que ça sera accompagné de déplacements d’emplois vers d’autres provinces ou pays où le climat fiscal est plus avantageux, suggère le directeur de ManaVoid.

Michel Mony partage cette position, bien qu’il s’affiche en faveur de la baisse des crédits d’impôt octroyés aux studios. D’après lui, si des syndicats gagnent les grandes entreprises de jeux vidéo au Québec, rien ne les empêchera de plier bagage et de s’installer ailleurs.

La nouvelle qu’on souhaite syndicaliser massivement l’industrie du jeu au Québec, ce n’est pas du tout vendeur [pour des investisseurs et des groupes étrangers].

Une citation de Michel Mony, directeur du studio Cathar Games

Félix Prégent, chef des opérations d’Astrolabe Interactive, un studio indépendant à Montréal, accueille pour sa part positivement la nouvelle mercredi.

Illustration d'une île flottante avec des voiles, un moulin et une chute d'eau.

L'équipe du studio indépendant Astrolabe Interactive développe le jeu «Aloft», dont la sortie est prévue en 2024.

Photo : Astrolabe Interactive

Le syndicat, ça naît d’en bas et ça va vers le haut. Ça vient d’un besoin. S'il y a une mobilisation syndicale, que les gens sentent un besoin de se protéger d’un patronat potentiellement nuisible, je pense que ça devrait être accueilli, souligne-t-il, précisant ne pas être un spécialiste de la question syndicale.

L’industrie du jeu vidéo est dépeinte comme l’entreprise cool, mais la réalité est que beaucoup de gens qui y travaillent sont dans des situations précaires. [...] La précarité est inévitable dans un studio indépendant.

Une citation de Félix Prégent, chef des opérations d’Astrolabe Interactive

Bien qu’un syndicat ne protège pas d’un renvoi ou d’une mise à pied, il peut au moins mettre en place un préavis un peu plus long et des indemnités de départ, note celui qui chapeaute les ressources humaines.

Une autre avancée que pourrait permettre un syndicat, d’après lui, est de s’assurer de bien créditer les employés pour leur travail sur des productions.

Parfois, une personne travaille des années sur un projet non annoncé, qui, finalement, est annulé. Elle n’a ainsi rien à montrer dans son portfolio, un outil essentiel pour l’employabilité dans cette industrie.

L’industrie affirme offrir de bonnes conditions

Selon une étude réalisée par le cabinet-conseil Habo en 2023, menée auprès de 520 membres de l'industrie québécoise du jeu vidéo, 95 % recommanderaient leur entreprise à leur entourage pour y œuvrer.

Tout n'est pas parfait dans l’industrie, mais on continue d’avancer. Il y a beaucoup de bonnes discussions entre les employés et les entreprises, souligne Jean-Jacques Hermans, directeur de la Guilde du jeu vidéo du Québec, qui a pour membres des centaines de studios de la province.

Un homme prend la pose dans un événement consacré aux jeux vidéo.

Jean-Jacques Hermans est le directeur général de la Guilde du jeu vidéo du Québec depuis deux ans.

Photo : Radio-Canada / Andréanne Larouche

Ces 10 dernières années, les conditions des gens qui travaillent dans l’industrie du jeu vidéo se sont énormément améliorées, insiste Christopher Chancey.

Avec plus de 300 studios au Québec, l’offre est assez grande. C’est souvent dans les avantages aux employés que ça se joue pour le choix d’un employeur.

Une citation de Christopher Chancey, directeur de ManaVoid Entertainment

À son studio ManaVoid, par exemple, pour rester compétitif, il offre des semaines de travail de quatre jours, des assurances collectives et paye des déjeuners et des dîners, entre autres.

De son côté, Michel Mony offre également des assurances collectives et des salaires compétitifs. Il affirme que les périodes intensives de travail avant la livraison d’un jeu vidéo, appelées les crunchs, sont presque inexistantes. Je suis la seule personne qui fait des crunchs à mon studio, fait-il remarquer.

Chez Astrolabe Interactive, les assurances et le salaire compétitif sont là, mais c’est surtout la culture de bienveillance, d'accessibilité, de transparence et d’inclusivité qui a une influence positive, détaille Félix Prégent. Dans un studio indépendant comme nous, si quelque chose ne va pas, mon équipe se lève, vient me voir et on jase, explique-t-il.

Selon mon expérience, les syndicats servent surtout à s’interposer dans une organisation qui est trop grande pour communiquer avec ses employés directement. C’est moins un besoin pour les petits studios.

Une citation de Félix Prégent, chef des opérations d’Astrolabe

Et tous sont unanimes : même s’il y a des suppressions d’emplois en ce moment dans l’industrie du jeu vidéo au Québec, celle-ci est si vaste que ses membres peuvent encore magasiner leur studio pour espérer obtenir de meilleures conditions.

On est dans une industrie où il n’y a pas beaucoup de loyauté. C’est facile de partir et d’être productif dans une autre entreprise. Partir ou menacer de partir parce qu’on n’accepte pas les conditions, ça met les entrepreneurs dans une zone où ils doivent réagir, ajoute Michel Mony.

Ce qui est certain, c’est que les gens gagneraient à bien connaître leurs droits, et s’ils ne se sentent pas bien traités en ce moment, je les inviterais à trouver un studio qui offre ce qu’ils recherchent, suggère Christopher Chancey.

Une autre réalité que les États-Unis

Les syndicats commencent à gagner de plus en plus de studios de jeux vidéo aux États-Unis, où le contexte s’y prête mieux, croit le directeur du studio Cathar. Les entreprises américaines offrent des indemnités de départ, par réputation, dit-il, mais ce n’est pas prescrit par la loi.

Au Québec, on s’est dotés d’un filet social, comme le chômage, payé collectivement par les entrepreneurs, en impôts. On est déjà largement gagnants dans le contexte mondial.

Une citation de Michel Mony, directeur du studio Cathar Games

L’implantation d’un syndicat aurait également pour effet d’alourdir les tâches administratives des petits studios, selon M. Mony. Les petites entreprises, de moins de 50 personnes, représentent la grande majorité des studios de jeux vidéo au Québec, mais pas la majorité des effectifs.

Le kiosque d'Activision à l'E3, en 2017.

Raven Software, un studio d’Activision basé au Wisconsin, est devenu en 2022 le premier studio AAA à se syndiquer.

Photo : Reuters / Mike Blake

C’est réaliste de penser que, pour un grand studio établi ici depuis plusieurs années, ce sera plus facile d’absorber ce processus. Mais pour un studio de 10 personnes, c’est une lourdeur administrative de plus, surtout pour des marges de profit très minces, explique Michel Mony. Il ajoute que de plus en plus de studios indépendants commencent à réfléchir à fermer boutique.

[Les travailleurs] gagneraient à bien comprendre ce que ça veut dire de faire partie d’un syndicat comme la CSN en ce qui a trait aux coûts pour eux et pour leurs employeurs, ainsi qu'à l’impact de tout ça sur leur industrie, mentionne Christopher Chancey. Pour notre part, on va continuer à bien traiter nos collègues dans tous les cas, parce que c’est ce qui a fait notre succès jusqu’ici!

Le bien-être des employés et la culture d’entreprise ne devraient pas être des sujets de préoccupation économique, défend Jean-Jacques Hermans, directeur de la Guilde du jeu vidéo du Québec.

Contacté par Radio-Canada, le plus grand employeur de l’industrie vidéoludique au Québec, Ubisoft, n’a pas souhaité faire de commentaire, laissant la Guilde du jeu vidéo parler au nom de l’industrie. Même son de cloche du côté du second employeur, Behaviour Interactif.

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